Le roi fait partie de la famille
Aussi, comme le note encore Mercier,
dans toute la France on s’entretient de la Cour de Versailles, et il est rare que, dans la ville la plus écartée, il n’y ait quelqu’un qui ne puisse dire de visu, pour y être venu en caraba ou en pot de chambre, comment le roi est fait, combien la reine aime les « pommes d’orange », si la Dauphine est jolie et si les princesses marchent d’un bon air.
Chacun, dit Rétif de la Bretonne,— ceux mêmes qui ne l’avaient jamais vu — considérait le roi comme une connaissance personnelle.
Les événements qui concernent le roi et la reine sont pour la France entière des événements de famille. La maison du roi est au propre la « maison de France ».
Au voyage d’Alsace à Paris, que fit Marie Leszczynska, fiancée à Louis XV, les populations accourent pour la saluer. Des paroisses entières arrivent, bannières en tête, chantant des cantiques, s’agenouillant devant leur nouvelle reine. Les routes sont semées d’herbes et de fleurs.
Le même esprit se retrouve dans le discours que les dames de la Halle viennent faire à leur jeune reine Marie Leszczynska le 14 novembre 1725, dès son arrivée à Fontainebleau. La femme Gellé porte la parole au nom de ses camarades :
Madame, j’apportons nos plus belles truffes à Votre Majesté. Je souhaiterions en avoir davantage. Mangez-en beaucoup et faites-en manger au roi, car cela est fort bon pour la génération. Nous vous la souhaitons bonne et heureuse et j’espérons que vous nous rendrez tous contents.
Au bal donné pour le mariage de Marie-Josèphe de Saxe avec le Dauphin, fils de Louis XV, tout le monde est invité, je veux dire tous les Français : c’est une fête de famille. Quelques-uns de ces cousins du roi sont même assez mal élevés : ils sont montés sur les banquettes de soie pour mieux voir les danseuses et répondent par un mot aussi énergique que laconique aux huissiers qui veulent les faire descendre.
Au mariage de Marie-Antoinette avec le Dauphin qui, sur le trône, se nommera Louis XVI, l’esprit qui préside est le même. Tout le monde, indistinctement, entre dans la grande Galerie des Glaces où la famille royale est assemblée. Des tables de jeu ont été disposées. Les dames qui ne jouent pas ont pris place sur des gradins disposés tout au long de la galerie, contre le mur. En face, du côté des fenêtres qui donnent sur le « tapis vert », a été disposée une balustrade qui règne d’une extrémité à l’autre de la galerie. Par là passe le peuple. Tout le monde est admis sans autre formalité, pourvu qu’on ne soit pas malpropre, ni loqueteux et qu’on suive l’itinéraire fixé. Mme la Dauphine, future reine de France, est assise à côté du roi son beau-père, et, avec eux, la famille royale a pris place autour d’une grande table où le roi, la reine, les princes et princesses causent familièrement et jouent bourgeoisement aux cartes, tandis que le peuple défile en dévisageant la jeune mariée, la future reine, et tous les membres de la maison de France.
En parlant de la mise au lit de la future reine de France, le soir des noces, le maréchal de Saxe écrit de son côté :
Certes, il y a des moments où il faut toute l’assurance d’une personne formée pour soutenir avec dignité ce rôle. Il y en a un, entre autres, qui est celui du lit, où l’on ouvre les rideaux lorsque l’époux et l’épouse ont été mis au lit nuptial, qui est terrible, car toute la Cour est dans la chambre.
La reine, la Dauphine vont donner un héritier à la couronne. L’accouchement doit se faire en public, devant tout le monde, sous les yeux du peuple à qui l’enfant appartient.
« C’est la grandeur de vous et de votre enfant », disait Henri IV à Marie de Médicis.
La sage-femme a reconnu les douleurs. Aussitôt Henri IV prévient la reine des usages de la Cour. Marie lui répond qu’elle a toujours été résolue de faire tout ce qu’il jugerait bon :
— Je sais bien, ma mie, que vous voulez tout ce que je veux ; mais je connais votre naturel, qui est timide et honteux, et je crains que, si vous ne prenez une grande résolution, les voyant, cela vous empêche d’accoucher.
Le roi, écrit la sage-femme, alla ouvrir la porte de la chambre et fit entrer toutes les personnes qu’il trouva dans l’antichambre et grand cabinet. Je crois qu’il y avait deux cents personnes. De sorte qu’on ne pouvait se remuer pour porter la reine dans son lit. J’étais infiniment fâchée de la voir ainsi.
Mme Boursier proteste contre la présence de tant de gens :
Le roi m’entendit, qui vint me frapper sur l’épaule et me dit :— Tais-toi, tais-toi, sage-femme ; ne te fâche point ; cet enfant est à tout le monde, il faut que chacun s’en réjouisse.
L’enfant paraît : c’est un Dauphin.
Par tout le bourg (Fontainebleau), écrit Mme Boursier, toute la nuit, ce ne furent que feux de joie, tambours et trompettes ; tonneaux de vin défoncés pour boire à la santé du roi, de la reine et de M. le Dauphin ; ce ne furent que personnes qui prirent la poste pour aller en divers pays en porter la nouvelle et par toutes les provinces et bonnes villes de France.
Voici l’accouchement de la dernière reine avant la Révolution. Le garde des Sceaux, les ministres et secrétaires d’État attendaient dans le grand cabinet avec la « maison du roi », la « maison de la reine » et les grandes entrées. Le reste de la Cour emplissait le salon de jeu et la galerie. Tout à coup une voix domine : « La reine va accoucher ! »
La Cour se précipite pêle-mêle avec la foule. L’usage veut que tous entrent en ce moment, que nul ne soit refusé. Le spectacle est public. On envahit la salle en une telle bousculade que les paravents autour du lit de la reine en sont renversés. La chambre se transforme en une place publique. Des Savoyards montent sur un meuble pour mieux voir. Une masse compacte emplit la pièce :
— De l’air ! crie l’accoucheur.
Le roi se précipite sur les fenêtres et les ouvre avec la violence d’un furieux. Les huissiers, les valets de chambre sont obligés de repousser les badauds qui se bousculent. L’eau chaude, que les praticiens ont demandée, n’arrivant pas, le premier chirurgien pique à sec le pied de la reine. Le sang jaillit. Les deux Savoyards, montés sur une commode, se sont pris de querelle et se disent des injures. Les voisins interviennent. C’est un vacarme. Enfin Marie-Antoinette ouvre les yeux : elle est sauvée.
Comme le roi est venu au monde, ainsi doit-il mourir, entouré des siens, c’est-à-dire de tout le monde. Louis XIII est à Saint-Germain, dans le château neuf, aujourd’hui presque entièrement détruit. Anne d’Autriche était demeurée au vieux château, celui qui se dresse, de nos jours encore, sur la jolie terrasse dominant la Seine. Dans les moments où le roi allait bien, il pouvait jouir de quelque repos, demeurer un peu tranquille, dans une retraite relative ; mais du moment où son état empirait, l’étiquette reprenait ses droits. Cette étiquette, nous la connaissons. Le flot des courtisans qui demeurent avec la reine dans le vieux château, augmenté d’un flot de Parisiens accourus de la capitale, envahissent la chambre où le roi agonise et se pressent en une masse remuante et compacte.
Napoléon comprit bien la raison de ces coutumes héréditairement enracinées dans la maison de France. Il avait songé à rétablir le « grand couvert », c’est-à-dire le repas en public, de la famille régnante, puis il y avait renoncé : il y eût été gêné. Ni Louis XIII, ni Louis XIV, ni Louis XV, ni Louis XVI ne l’étaient. Et il ajoute ces paroles qui marquent bien le caractère de ces vieux usages :
Peut-être aurait-on dû borner cette cérémonie au Prince impérial et seulement au temps de sa jeunesse, car c’était l’enfant de la nation ; il devait dès lors appartenir à tous les sentiments, à tous les yeux.
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