La royauté mérovingienne et carolingienne - de la nécessité d’une bonne institution
Pour beaucoup, le bon gouvernement dépend principalement des bonnes dispositions de son chef, aussi recherchent-ils le « saint roi », le « saint président »... Plus rares sont ceux qui se posent la question cruciale de la forme de l’institution politique. En effet le philosophe Léo Strauss rappelle que « la question principale de la philosophie politique classique est la question du meilleur régime [...] Aristote dit que le bon citoyen pur et simple n’existe pas. Car ce que signifie être un bon citoyen dépend entièrement du régime considéré. Un bon citoyen dans l’Allemagne hitlérienne serait partout ailleurs un mauvais citoyen. Mais tandis que le bon citoyen est relatif au régime, l’homme bon n’a pas cette relativité. La signification d’homme bon est partout et toujours la même. L’homme bon ne se confond avec le bon citoyen que dans un seul cas — dans le cas du meilleur régime. Car c’est seulement dans le meilleur régime que le bien du régime et le bien de l’homme bon sont un seul et même bien, le but de ce régime étant la vertu* ». Dans ces circonstances, la République est-elle baptisable ? Existe-t-il une forme de gouvernement naturelle et compatible avec le message évangélique ? Sommes-nous condamnés à toujours nous accommoder du « moindre mal » et à nous complaire dans un agnosticisme politique propre à justifier toutes les désertions et les compromissions ?
Souvent pour nos contemporains, le meilleur gouvernement est celui qui prône l’idéologie dont ils se sentent le plus proche, que ce soit dans le cadre de la cinquième République ou d’une autre. La « bonne » idéologie suffirait à elle seule à rendre le gouvernement bon.
Dans le même ordre d’idée et, bien sûr sans assimiler la religion à une idéologie, on constate que beaucoup de catholiques affectent de croire que la forme de gouvernement importe peu pourvu que celui ci reconnaisse le Christ Roi et soutienne son Église.
Ces conditions sont en effet requises pour faire une cité chrétienne conformément à l’enseignement du Christ quand il affirme tenir Sa royauté du Père. Nous dirons donc d’un tel gouvernement qu’il est légitime théologiquement. Remarquons par ailleurs que, même sans même se référer à la Révélation et en se cantonnant à la théologie naturelle (connaissance de Dieu par les seules lumières de la raison), il est en soi juste que la société rende un culte au Créateur et c’est précisément ce que l’on nomme « droit divin » ou hétéronomie.
Mais la légitimité théologique révélée permet-elle à elle seule d’assurer le bon gouvernement ?
À la chute de l’empire romain d’occident une institution survit : l’Église.
En vertu de la distinction des deux pouvoirs temporel et spirituel, les autorités religieuses — à l’instar de saint Rémi — cherchent à instaurer une nouvelle autorité politique.
Leur choix se porte sur Clovis, barbare franc qui en acceptant le baptême (Noël 496) reconnaît une royauté supérieure à la sienne : celle du Christ.
Cet acte lui octroie une légitimité théologique reconnue par de nombreux peuples. L’unité se refait, un nouvel espoir de cité chrétienne naît.
Hélas ! Clovis a une conception de l’autorité qui est celle d’un barbare :
- Sa légitimité naturelle se fonde sur sa force et son charisme, (qualités bien aléatoires dans sa descendance).
- Le pays constitue un bien personnel du monarque et avant de mourir, il partage son royaume entre ses quatre fils.
Nous sommes donc en présence d’une institution politique extrêmement rudimentaire bien éloignée du souci du bien commun.
Toute l’histoire des mérovingiens (soit 255 ans) est émaillée de partages, de réunifications (6 réunifications totales) avec force assassinats, luttes fratricides engendrant des guerres civiles.
Ces instabilités institutionnelles provoquent :
- Affaiblissement de l’autorité politique. Disparition progressive des reliquats de l’administration romaine.
- Anarchie dans la hiérarchie religieuse ; diocèses sans évêque ; diocèses avec deux évêques ennemis ; absence de concile ; inculture et débauche du clergé séculier (la propagation de la foi est assurée par le monachisme qui connaît en ce temps une grande expansion).
- Disparition de l’écriture (les ordres et les lois cessent d’être formulés par écrit).
- Violence et anarchie des comportements.
Bien que légitime du point de vue théologique, mais à cause d’une légitimité naturelle très imparfaite, la monarchie mérovingienne s’achève sur fond de déliquescence politique (les rois fainéants), de profondes divisions raciales, d’invasion musulmane.
La royauté carolingienne (751-987)
Un redressement va s’opérer grâce aux efforts conjugués d’un moine (saint Boniface), d’un pape et d’une famille soucieuse du bien commun, celle des maires du palais d’Austrasie.
Tous ces acteurs ont à cœur de réaliser un projet grandiose élaboré dans les monastères : l’unité de l’Occident dans le christianisme par une union étroite du pape et du roi.
Avec les Carolingiens, la légitimité théologique trouve un plein épanouissement :
- Les descendants de Pépin le Bref sont imprégnés des paroles de saint Isidore de Séville :
Que les princes des siècles sachent que Dieu leur demandera des comptes au sujet de l’Église, confiée par Dieu à leur protection. La paix et la discipline ecclésiastique doivent se consolider par l’action des princes fidèles.
- Par la cérémonie du sacre il reconnaît que sa royauté vient de Dieu et qu’il Lui doit des comptes sur le salut du peuple qui lui a été confié. Sa personne devient sacrée.
- Le roi est le protecteur actif de l’Église, il chasse l’hérésie, au besoin il convoque et préside même un concile.
Dans l’ordre de la légitimité naturelle, les Carolingiens font leur le principe résumé par l’évêque saint Jonas d’Orléans dans son traité sur l’Institution royale (De institutione regia) :
La fonction royale est de gouverner et régir le peuple de Dieu avec équité et justice, pour qu’il puisse conserver la paix et la concorde.
De fait, la dynastie commence avec une série de rois très pieux, énergiques, organisateurs, tournés vers le bien commun. L’unité de l’Occident et son redressement sont réalisés par le génial Charlemagne à la faveur d’un long règne (46 ans).
On a parlé à juste titre de renaissance carolingienne :
- Administration centralisée et efficace : le royaume est divisé en provinces à la tête desquelles le roi désigne un comte qui est son représentant.
- Renouveau intellectuel et religieux. On redécouvre le latin et le grec, on débarrasse les écritures saintes des ajouts et des fautes de traduction des copistes.
- De nombreuses écoles sont ouvertes auprès des évêchés et des monastères destinées à fournir un clergé compétent et des administrateurs convenablement instruits.
- Les ordres sont à nouveau formulés par écrit.
- Essor de la littérature, des sciences, des arts décoratifs, de l’architecture, de l’industrie textile.
Malheureusement les institutions politiques conservent une tare héritée des Mérovingiens : à la mort du roi, le royaume est divisé entre ses fils.
Et si au début les circonstances et les bonnes volontés permettent de surmonter ce danger, il n’en va plus de même à partir des petits-fils de Charlemagne qui se déchirent.
Ces luttes pour le pouvoir sont lourdes de conséquences :
- L’empire est divisé en trois, puis cinq royaumes indépendants.
- L’autorité royale s’affaiblit alors que celle des comtes sur leur province respective augmente. Certains se révoltent ouvertement contre le roi.
- À partir de 841 et profitant de ces désordres, les Normands dévastent de nombreuses villes.
- En 877 Charles le Chauve fait une redoutable concession : avant son expédition pour secourir le pape menacé par les musulmans, il accepte un gouvernement intérimaire par conseil des grands (comtes et évêques). Le roi meurt sur le chemin du retour.
- Pour lui succéder son fils Louis le Bègue est obligé de négocier avec les grands : ceux ci acceptent de l’élire à condition qu’il rende héréditaire la charge comtale : c’est une révolution.
- En 888 les grands élisent roi un des leurs, Eudes un ancêtre des Capétiens.
- Un deuxième roi est élu avant la fin du règne d’Eudes.
L’échec des institutions carolingiennes est consommé : les grands élisent et déposent les rois selon leurs intérêts. Même s’ils lui prêtent serment de fidélité, ce sont eux qui exercent le gouvernement politique sur de véritables principautés territoriales.
Une fois de plus et malgré une légitimité théologique certaine, une institution politique est impuissante à juguler les forces de dissociation parce que inachevée du point de vue de la légitimité naturelle.
Nous vous recommandons d'étudier les 3 cycles [lien ici] sur la monarchie traditionnelle française proposés par l'UCLF.