J’avoue éprouver une admiration respectueuse pour la vieille horloge de notre salle à manger familiale. À l’inverse de ses consoeurs modernes, elle ne connaît pas les piles coupables de pollution si, une fois usagées on oublie qu’elles sont à déposer dans « le bac réservé à cet effet » ; elle ignore le débat entre énergies renouvelables et fossiles. Simplement elle demande que qu’elqu’un pense à relever ses contrepoids, la force de gravité et les engrenages s’occuperont du reste ; les minutes s’ajoutent aux minutes et les heures sonnent.
À ses côtés, lorsque tout est silencieux, la pensée se laisse emporter par le rythme du balancier qui égrène les secondes du temps qui passe. Comme passe le souvenir des choses qui ne sont plus ; seule une attitude, une tournure de phrase chez un ancien du village rappelle qu’elles ont été. Au bout de la rêverie, quand la lumière de la mémoire s’éteint sur le passé et que les sens se réveillent sur le présent, les mêmes questions reviennent toujours. Pourquoi tant de bouleversements en si peu d’années ? Comment la machine s’est-elle emballée, à qui la faute ?
Peut-être au siècle tragique qui a vu une seconde guerre mondiale suivre la première qui devait être la « der des der » et entre deux la révolution communiste.
Après tant de larmes, tant de souffrances et tant de privations, n’était-il pas légitime que nos parents aient désiré « prendre un peu de bon temps » et « se faire plaisir » comme on dit aujourd’hui ?
Dans les mêmes années, la loi de 1905 excluait l’Eglise catholique de l’espace public que Vatican II se met en tête de reconquérir par une pastorale accommodante. C’est ainsi que dans les années 60 du siècle dernier nous sommes passés de « on peut se faire plaisir » à « il n’y a pas de mal à se faire du bien ».
Le frein venait de lâcher ; et comme pour rattraper le temps perdu les sociétés occidentales se sont ruées sans modération sur les délices de la consommation dans toutes ses formes.
À la grande joie d’une poignée de prédateurs diversement intéressés pour que l’élan de l’après-guerre devienne un phénomène « durable ». La radio et plus encore la télévision ont pris le relais avec des campagnes publicitaires efficaces qui révèlent des envies inconscientes, le plus souvent en rapport avec la nourriture, le divertissement, le statut social..., et génèrent des désirs insatiables, sauf à s’endetter.
Et puisque le crédit était facile et « qu’il n’y avait pas de mal à se faire du bien (de surcroît vu à la télé !) », il suffisait de pousser la porte de la première agence bancaire venue.
Il n’y a pas d’autre explication à l’indescriptible cloaque financier dans lequel nous pataugeons après avoir vécu au-dessus de nos moyens et abusé de toutes les ressources mises à notre disposition par le Créateur.
Non seulement nous en avons abusé, mais mieux encore nous les avons dévoyées ; car enfin quand j’entends quelques hurluberlus, qui n’ont jamais pétri une poignée de terre à blé ramassée derrière la charrue, se féliciter des subventions promises à la méthanisation des résidus agricoles dont la paille...pardonnez-moi, j’ai des envies qui me conduisent tout droit vers le confessionnal le plus proche.
On connaît la suite, subprimes en 2007, crise en 2008, léger mieux en 2009 et rechute en 2011, le tout à l’échelle mondiale ; de sorte que de New York à Pékin via Londres, Bruxelles et Tokyo tous les politiciens cherchent la potion qui guérirait la « gueule de bois » due à l’abus de dette.
Il est permis de rêver, d’espérer qu’ils retrouveront la voie d’une salutaire sobriété (par souci de « laïquement correct » je n’ose pas écrire « tempérance »).
En premier lieu ils devront analyser les causes profondes du malaise et surtout, mais n’est-ce pas beaucoup leur demander, qu’ils reconnaissent leur part de responsabilité au lieu de s’auto disculper en argumentant « qu’on ne pouvait pas prévoir ». Eh bien si, « on » pouvait et devait ; la preuve en est que la société civile a toujours pressenti et souvent révélé les abus avant que les « démocratiquement élus », censés représenter la dite société, se penchent sur le problème. (1)
Le malheur est qu’au fil du temps républicain, la société civile s’est réduite à la juxtaposition d’une multitude de groupes d’individus toujours prompts à éveiller la compassion du législateur afin qu’il apporte une réponse à des problèmes, certes particuliers mais préalablement tellement chargés d’émotion par les médias ! Sachant que les auditeurs et les téléspectateurs sont aussi des électeurs, et que la recherche de nouveaux droits est sans limite si on s’écarte de l’ordre naturel, l’étouffante et sclérosante inflation législative reste promise à un bel avenir. Et inversement pour le Pays Réel.
Tout ne fut pas néfaste lors de l’exode rural des années 50 ; les paysans qui laissaient leurs champs pour aller travailler en usine emportaient avec eux un bien précieux, le bon sens.
Subtil mélange de prudence, de volonté, de résignation, d’audace, de sagesse, d’expérience, d’intelligence, de foi..., leur bon sens s’est diffusé dans le monde urbain qui commençait d’en être dépourvu.
Malgré les changements survenus depuis, au gré de mes discussions avec des gens d’origines sociales différentes, j’ai acquis la certitude qu’il en reste quelque chose. Le feu rougeoie encore et ne demande qu’à repartir sous le souffle d’une autre politique.
Soucieuse d’accorder au mieux les choses d’ici bas avec la volonté du Ciel et d’embellir l’héritage promis aux générations futures, la Tradition capétienne fut la sève qui a nourri le bon sens du Pays Réel. Assise sur des fondations insensibles au temps, la Tradition capétienne peut de nouveau servir l’œuvre civilisatrice interrompue par la Révolution.
Bien sûr avant de pouvoir lancer le mouvement d’inversion qui replacera la tête en haut, la route sera longue et difficile. Mais j’ai la certitude qu’en avançant du même pas au sein d’un même cortège et en partageant le fardeau selon les talents dont le Créateur a daigné nous gratifier, nous serions capables de franchir au moins une étape ; le terme du voyage appartient à nos enfants, n’oublions donc pas de leur apprendre à marcher.
Il est bien tard, mais encore temps ; d’ailleurs j’entends sonner la vieille horloge qui me rappelle que c’est l’heure de prendre la route.
Vous venez ?
Sur le sujet voir notre article « Il y a de l’abus ! ».
P. Jeanthon