Georges Cadoudal, emblème de la Chouannerie
Le 9 mars 1804, vers sept heures du soir, trahi par son logeur, l’ennemi public numéro un est repéré par un gardien de la paix place du Panthéon. L’homme monte dans un cabriolet et une escouade de policiers le prend en chasse. Une course poursuite effrénée et meurtrière s’ensuit dans les rues de Paris. L’inspecteur Buffet s’empare de la bride des chevaux pour arrêter la voiture tandis qu’un autre tente de pénétrer dans le fourgon. Le bruit sourd d’un pistolet résonne et l’officier s’effondre. Le fugitif vise et blesse grièvement un deuxième homme. Il saute du cabriolet bien décidé à échapper à la traque dont il est l’objet. Cerné au carrefour l’Odéon, les agents bien que nombreux peinent à maîtriser le géant qui leur fait face et le conduire à la préfecture de Police.
L’interrogatoire est sans appel. L’homme qui a été arrêté est bien l’initiateur d’un complot visant à éliminer Napoléon Bonaparte. Le jeune Breton, replet et vigoureux, à la corpulence énorme et au regard clair, répond à ses juges d’une voix limpide et assurée :
« - Que veniez-vous faire à Paris ?
- Attaquer le premier Consul
- Où avez-vous logé ?
- Je ne veux pas le dire.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne veux pas augmenter le nombre des victimes.
- Quel était votre projet et celui de vos conjurés ?
- De mettre un Bourbon à la place de Bonaparte.
- Quel était ce Bourbon ?
- Louis XVIII.
- N'était-ce pas avec un poignard que vous vous proposiez d'assassiner le premier Consul ?
- Je ne suis pas un assassin. Je devais l'attaquer avec des armes pareilles à celles de sa garde ».
(Extrait du premier interrogatoire de Georges Cadoudal, le 18 ventôse de l’an 12 – 9 mars 1804, reporté par Adolphe Thiers dans Histoire du Consulat et de l’Empire, T3, 1845).
Au juge qui lui reproche d’avoir tué un père de famille, il répond avec un aplomb désarmant : « La prochaine fois faites-moi arrêter par des célibataires ! ».
Voulait-il enlever ou assassiner « le tyran » ? Le doute demeure, mais tout laisse à supposer qu’il envisageait d’attraper Bonaparte de « vive force » et non le tuer. Le grand chef de la résistance bretonne comptait sur une vingtaine de complices déguisés en hussards pour se saisir du premier Consul, la suite devant être dictée par la tournure qu’aurait prise les événements…
Le « royaliste révolté » avoue qu’il attend l’arrivée prochaine d’un prince de sang pour l’insurrection planifiée, sans donner de nom. Un malentendu malheureux, cause d’une victime collatérale. Napoléon Bonaparte, influencé par Talleyrand, fait arrêter le duc d’Enghien, convaincu de son implication dans le complot : « Il fit enlever de force le jeune prince de Condé, duc d'Enghien, qui se trouvait à Ettenheim, en territoire badois, et qui fut passé par les armes après un simulacre de jugement », nous rapporte l’historien Jacques Bainville dans Histoire de France, Chap. XVII, 1924. Si aucune preuve ne corrobore les faits, ce n’est pas grave, le meurtre du dernier rejeton de la famille de Condé servira d’exemple aux rebelles royalistes… « C’est pire qu’un crime, c’est une faute » s’offusquera le député de la Meurthe, Antoine Boulay.
Cadoudal est-il responsable de la « conspiration de la machinerie infernale » du 24 décembre 1800, premier attentat à la voiture piégée de l’histoire ? Le chouan reconnait avoir eu vent du projet de Saint-Régeant mais ignorait les moyens terroristes mis en œuvre par son lieutenant. Aucune charge concernant cet attentat manqué contre Bonaparte, qui a fait vingt-deux morts et une centaine de blessés rue Saint-Nicaise, ne sera finalement retenue contre lui.
Napoléon Bonaparte offre de gracier le lieutenant général des armées du Roi à plusieurs reprises en échange de sa soumission, celui-ci refuse avec obstination : « Ce bougre-là ! Il n'est pas content de me couper la tête, il voudrait encore me déshonorer ». Il mourra avec ses amis.
Néanmoins, il exprime une dernière volonté à l’exécuteur de Paris, son bourreau : « Vous saurez que je veux être exécuté le premier. C'est à moi à donner à mes camarades l'exemple du courage et de la résignation ; d'ailleurs, je ne veux pas que l'un d'eux s'en aille de ce monde avec l'idée que je pourrais lui survivre ». Refusée. L’ordre d’exécution est fixé et sa tête tombera la dernière. On lui offrait la vie et lui interdisait de choisir le moment de sa mort…
Le 25 juin 1804, Georges Cadoudal et onze de ses compagnons sont menés en place de Grève. En quittant la Conciergerie, dans un dernier adieu, il professe inlassablement sa foi pour donner du courage à ses partisans condamnés : « Et maintenant, il s’agit de montrer aux Parisiens comment meurent des chrétiens, des royalistes et des Bretons ». D’un pas sûr et lent, la démarche fière et l’œil assuré, le colosse gravit les marches de l’échafaud et clame d’une voix retentissante : « Camarades, je vous rejoins. Vive le Roi ! ».
Héros populaire anobli post mortem par Charles X et élevé à titre posthume à la dignité de maréchal de France, Georges Cadoudal était le fils d’un laboureur aisé de Kerléano près d’Auray. Devenu clerc de notaire, il intègre en 1793 la chouannerie et l’armée catholique et royale de Stofflet, en Vendée : avec la Révolution française la paysannerie bretonne et vendéenne se soulève pour s’opposer aux nouvelles mesures républicaines, notamment la constitution civile du clergé et la suppression du traité de 1532 qui les exemptait du service militaire. En 1793, l’exécution de Louis XVI et la levée de trois cent mille hommes par la Convention ravivent les mouvements protestataires. La jacquerie de l’Ouest se métamorphose en une véritable guerre contre-révolutionnaire.
L’intelligence prodigieuse et la bravoure légendaire de Cadoudal lui permettent de gravir prestement les échelons hiérarchiques. De capitaine, il devient chef d’escadron puis commandant d’une division de cavalerie et est élu général du Morbihan par ses troupes en 1795. De toutes les batailles, de tous les complots, rescapé du désastre de Quiberon, fidèle à son combat, redoutable et volontaire, ce titan taillé comme un bloc de granit qui incarne « l’honneur du peuple breton » repose à Kerléano, dans son village natal. Son squelette a été récupéré en 1814 par Joseph Cadoudal, son frère, auprès du fameux Louis Dominique Larrey, chirurgien de la Garde impériale* qui l’utilisait pour ses cours.
Il est tout à fait probable que ces événements aient pressé Napoléon Bonaparte à donner une légitimité monarchique à son gouvernement avec la proclamation de l’Empire le 18 mai 1804. Cadoudal, de la Conciergerie, aurait constaté : « Nous avons fait plus que ce que nous voulions ; nous voulions faire un roi, nous avons fait un empereur »…
Albane de Maigret
Nous tenons à remercier Jean-Yves Robert-Carteret, arrière-arrière-petit neveu de Georges Cadoudal, pour sa disponibilité dans la préparation de ce sujet.
*Voir chronique du 25/11/2011 : Dominique Larrey, chirurgien de la Garde impériale.