« Je ne fêterai pas votre révolution » Pierre d'Angles
Amaury Guitard propose de découvrir un superbe texte en alexandrins de Pierre d'Angles. Voici son analyse.

On ne célèbre pas le vol, le viol, le crime.
Mais je prendrai le deuil de vos pauvres victimes.
Elles seules ont droit à ma vénération.
Je ne fêterai pas l’espérance trahie
Du peuple demandant l’arbitrage royal
Jusqu’alors rendu juste, équitable et loyal
Mais au nom d’une foi par votre orgueil haïe.
Je ne célèbrerai pas votre intolérance.
Ni vos sacrilèges, ni vos profanations.
Ni les grands mots ronflants de vos proclamations
Prônant la liberté dont vous priviez la France.
Je ne fêterai pas l’infâme Cordelier
Faisant assassiner, par sa triste colonne,
En l’Eglise du Luc, près de six cents personnes
Dont cent cinquante enfants réunis pour prier.
On ne pardonne pas les Oradours-sur-Glane
Et vous seriez fondés d’en tarer les nationaux-socialistes
Si vous n’aviez, chez nous, fait pire aussi
Vous êtes précurseurs, Messieurs, et non profanes.
Quand vous jetiez aux fours, par vous chauffés à blanc,
Les mères, les enfants, les vieillards, les mystiques,
Vous disiez faire le pain de la République…
Mais Amey, mieux qu’Hitler, les y jetait vivants !
Car c’est bien cet Amey, de sinistre mémoire,
L’un de vos généraux prétendu glorieux,
Qui fut l’instigateur de ce supplice odieux…
Vous avez, aussi vous, eu vos fours crématoires.
Et Turreau trouvait tant de plaisir à ces jeux
Qu’il faisait ajouter, quand manquaient les dévotes,
Et malgré tous leurs cris, les femmes patriotes…
Votre fraternité les unissait au feu.
L'origine...
Dès le titre (qui constitue aussi le premier vers du poème), le poète est catégorique, et le lecteur sait déjà à quoi s'en tenir.
A travers ce texte composé au tout début de l'année 1989 (année du bicentenaire), P. d'Angles exprime clairement sa volonté de ne pas se joindre, ni de cautionner les commémorations révolutionnaires à venir, qu'il présente comme une grande supercherie historique, et se revendique solidaire au regard des victimes.
Décryptons ensemble les huit permières strophes de ce poème...
Exclusivement sous forme de quatrains (strophe de base de la poésie française), ce
poème est majoritairement composé en alexandrins, vers de douze pieds traditionnellement
réservé aux sujets graves et solennels.
Et des bourreaux, il en est bel et bien question dans ces quelques strophes, qu'ils soient anonymes ( «vos », « messieurs »), ou clairement identifiés : Cordelier, tout d'abord, jugé « infâme », puis c'est au tour des généraux « prétendu(s) glorieux » Amey et Turreau d'être évoqués ensemble successivement dans les deux dernières
strophes.
L'histoire mise en forme
Cordelier et sa «triste colonne» sont bien évidemment associés au sanglant massacre des Lucs s/ Boulogne (28 Février 1794), et l'extrême barbarie dont ils firent preuve ce jour-là (« assassiner») contraste avec l'innocence et l'inoffensivité de leurs victimes, (« six-cents personnes dont cent-cinquante enfants »), massacrées en haine de la foi : « réunis pour prier ».
* En Janvier 1794, l'officier de police Gannet témoigne de ce qu'il a vu :
« Amey fait allumer des fours et lorsqu'ils sont bien chauffés, il y jette les femmes et les enfants. Nous lui avons fait des représentations ; il nous a répondu que c'était ainsi que la République voulait faire cuire son pain »
Ces crémations, P.d'Angles les reprend dans son poème quand il évoque et accuse « Les fours, par vous, chauffés à blanc ». Normalement connu pour être l'oeuvre des tortionnaires nazis lors de la seconde guerre mondiale, ce procédé n'aurait donc rien de nouveau puisqu'en Vendée, la folie révolutionnaire n'a donc pas hésité, pour « faire le pain de la République », a inaugurer ce « supplice odieux », qui sera malheureusement repris cent cinquante années plus tard... Pour le poète, sur l'échelle de l'horreur, la cruauté d'Amey surpasserait même celle d'Hitler, puisque les victimes étaient alors incinérées vivantes, unies dans les flammes par « Votre fraternité », un de « ces mots ronflants » nés de la révolution.
Entre histoire et poésie
Amaury Guitard
Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de notre étude.
