Jean-Louis Murat : «Idéologiquement, j'aime beaucoup Léon Bloy, Bernanos»
Jean-Louis Murat travaille comme les paysans dont il célèbre l'existence. D'abord il compose, retiré dans les monts d'Auvergne, puis il enregistre, puis il joue, puis il se terre à nouveau pour reprendre le cycle de sa vie d'artiste. C'est méticuleux, régulier, et toujours talentueux, comme il le prouve avec son dernier album, un petit bijou d'écriture et de mélodie baptisé Grand Lièvre (1). Jean-Louis Murat, un homme rare, mais disert.
Le Point.fr : Vous vous tenez en marge du système. Pourquoi refuser de participer aux opérations caritatives, comme Les Enfoirés ?
Jean-Louis Murat : Je trouve ce système dégoûtant. Les jolis coeurs, les plus-généreux-que-moi-tu-meurs, je n'y crois pas du tout. Tous ces artistes sont des monstres d'égoïsme. La vraie générosité, elle est silencieuse. Tu fais, mais tu fermes ta gueule. Ça ne doit pas devenir un élément de promotion.
Les artistes qui y participent n'ont aucune volonté d'aider une cause, selon vous ?
Non, ils font de la promo. N'importe quelle maison de disque te dira que la meilleure émission de variétés, c'est "Les Enfoirés", et qu'il serait bien d'y être. Tout est dit.
Même pas un soupçon d'altruisme ?...
Moi, toutes ces qualités-là, l'altruisme, le machin, je m'en bats les c... Ces hommes de gauche patentés, je connais leur mode de fonctionnement. Le plus grand des jolis coeurs, Renaud, je l'ai vu faire un truc qui te conduit normalement en prison. Il est devenu mon ennemi de base, même si on ne tire pas sur une ambulance. J'ai vu aussi des hérauts de la gauche jouer au poker une petite nana perdue, une nana de 16 ou 17 ans. "Elle est pour toi ou elle est pour moi ?" Je les ai vus faire ça, ces mecs qui hurlent à la mocheté du monde dès qu'un chien se fait écraser. Dans le business, c'est pire. C'est un milieu où il faut se taire. Ils ne peuvent pas me supporter, je le leur rends bien. Je n'ai pas d'amis là-dedans.
C'est pourquoi vous avez choisi de vivre et travailler en Auvergne ?
Oui. Je ne suis jamais arrivé à me faire à ce milieu. Au début, j'avais un appartement à Paris, parfois je me mélangeais un peu, mais c'était une catastrophe. Je me souviens d'une fois où j'ai mangé avec le patron d'une maison de disque et sa grande vedette. Je n'ai pas passé l'entrée. Je leur ai dit : "Je n'ai rien à voir avec vous, je vous emmerde, au revoir, je me casse."
Vous dénoncez aussi l'engagement politique des artistes.
C'est le triomphe de l'hypocrisie. Les chanteurs se mettent toujours du côté du manche. La vie d'artiste est beaucoup plus confortable si tu es vaguement contre. Ils essaient de se placer sous une sorte de lumière marxiste. Ils disent : Je suis un rebelle, je suis socialiste. Tous les cons font ça.
Tous ne sont pas de gauche !
Non. Tu peux aussi faire une carrière de lèche-cul à la Souchon. C'est le plus grand stratège de la chanson française. Il est passé de Pompidou à Sarkozy sans broncher. C'est un centriste, si on veut. Souchon, c'est le Lecanuet de la chanson, ou alors, pour être plus moderne, c'est le Bayrou de la chanson. Un exemple à suivre si on veut vendre des disques.
Vous ne vous reconnaissez dans aucun parti ?
Je n'ai jamais été de gauche une seule minute dans ma vie, mais je n'ai jamais été de droite non plus. L'engagement, c'est différent, c'est le pont plus loin. Si tu t'engages, tu dois faire abstraction du fait de savoir si tu es de droite ou de gauche. Ou alors il faut faire de la politique comme Flaubert, c'est-à-dire déceler la connerie, sortir le détecteur. C'est un spectacle tellement ridicule qu'il faut jeter un regard neuf dessus. On aurait besoin de Blake Edwards pour mettre en scène la clownerie de l'accord passé ces derniers jours entre les Verts et le PS, par exemple !
L'artiste n'a rien à dire politiquement ?
Mais quelle est la valeur de l'artiste dans la société ? Qu'est-ce que c'est que ces petits chanteurs de variétés qui font des trucs à la con de trois minutes avant de disparaître, et qui d'un seul coup ont des consciences de Prix Nobel de la paix ? Ça n'est pas sérieux.
Vous faites malgré tout des choix politiques, comme tout le monde...
Idéologiquement, j'aime beaucoup Léon Bloy, Bernanos. Ils ont une façon de penser dans laquelle je me retrouve. Ce sont des pré-communistes, des pro-chrétiens. Si je doute de quelque chose, il suffit de quelques pages de Bernanos, ça me remet à cheval ! Mais ce n'est pas tellement de la politique, c'est plutôt une façon d'envisager la vie et l'individu.
Donc, vous ne vous engagerez pas pour une cause ?
Jamais. L'idéologie chez les artistes, c'est une funeste blague. Ce qu'ils portent vraiment, c'est dans leurs chansons et leur comportement.
Et vous, pourquoi faites-vous des chansons ?
Pour moi. Si elles rencontrent des gens, très bien. Mais je n'ai jamais pensé à quelqu'un d'autre que moi en écrivant une chanson. Même dans la chanson populaire, même Bruant, même Pierre Perret, ils pensent d'abord à leur gueule.
C'est de l'égocentrisme !
Non, c'est la nature des choses. Je ne pense pas qu'un artiste puisse amener quoi que ce soit. Je pense que les enjeux sont ailleurs. Ils sont à l'extrême intérieur, dans le saint des saints de chacun. La seule idée que j'aimerais faire passer, c'est que chacun a en soi une énergie quasi infinie.
C'est ce que vous démontrez sur scène, où vous semblez comme possédé ?
Sur scène, je vais dans une sorte de château-fort intérieur. S'il y a quelque chose qui peut être exemplaire chez l'artiste, c'est ce chemin sportif qui mène vers ce "Fort-Boyard" dans lequel je me mets sur scène. Ce chemin a du sens. Un concert, c'est un meeting d'athlétisme. Je ne l'envisage que comme ça. Je fais un disque tous les ans parce que je défends une idée quasi héroïque de l'énergie. Je peux regarder quinze fois un sprint d'Usain Bolt, et ça me sert pour écrire mes chansons. Je suis dans quelque chose de primitif, d'où vient l'énergie, le feu sacré.
En revanche, vous ne parlez pas pendant un concert. Les spectateurs ont l'impression que vous les méprisez...
Je ne dis plus rien parce que tout le monde filme. Cinq minutes après, tu te retrouves sur Internet. Pourtant, j'ai eu des moments très spectaculaires. Le lundi qui suit la défaite de Jospin en avril 2002, par exemple, je suis en concert à la Cigale. J'attaque par une blague où je dis : 80 ans de communisme, 80 millions de morts, on est bien débarrassé ! Silence de cathédrale dans la salle. Le public ne supporte pas ce genre de truc ! En fait, j'aime beaucoup déclencher le rire jaune, j'aime bien aller à la limite. Il faut être créatif.
Qui sont vos héros personnels ?
Les sportifs, comme Usain Bolt ; peu d'artistes, ou alors des morts. J'aime Proust, par exemple. En musique, j'en ai très peu. J'aime bien les gagnants, mais aussi les losers. Je trouve qu'il y a une abnégation incroyable chez Van Morrison, chez Tony Joe White, chez JJ Cale. Ils ne sont jamais arrivés en haut mais ils s'en foutent, ils rament !
Ils ont cette fameuse énergie, ce feu sacré ?
Voilà ! J'aime aussi les gens qui, comme Bernanos, vont vers le surnaturel ou le mysticisme. Hector, Achille, Léon Bloy, Bahamontès et Usain Bolt, c'est un mélange de tout ça. Mais j'aime pas les lopettes, ce qui semble être la particularité du monde politique : fabricant de lopettes. Même Proust pouvait provoquer quelqu'un en duel et aller au coin du bois. Dans le monde politique d'aujourd'hui, pas un seul serait capable de le faire !
L'une de vos chansons, sur votre dernier album, proclame ceci : "Dans ce monde moderne je ne suis pas chez moi". Vous êtes misanthrope ?
Je dis ensuite : "Merci pour tant de peine, mais je ne t'aime pas." C'est ce que je pense vraiment. C'est même vicieux, puisque ça me plaît assez qu'on ne m'aime pas. Être une vedette dans ce monde pourri, je n'apprécierais pas tellement ! C'est plutôt un honneur d'être détesté. Mais je ne suis pas suicidaire. Je suis un mec simple. Je garde les valeurs paysannes : se lever tôt, travailler. Et ce que les autres en pensent, à vrai dire, on s'en fout.
Propos recueillis par Michel Revol
(1) Grand Lièvre, Jean-Louis Murat, V2 Music/Polydor
Source : http://www.lepoint.fr/musique/jean-louis-murat-ca-me-plait-assez-qu-on-ne-m-aime-pas-09-12-2011-1405699_38.php
Vendre les prés
Les yeux semblent traqués
Comment nourrir les bouches
Les filles à marier
Et le linge brodé
V’là les automobiles
Jusque sous nos fenêtres
Dieu veuillez m’excuser
La lumière est mourante
Il faut vendre la terre
Il faut vendre les prés
Il faut passer le bois
Grand-mère tient la maison
Pour quelque cul-terreux
Sans plus d’éducation
Quel travail de nuit
Foutu dans un dancing
De l’eau jusqu’aux chevilles
Tout nous tient désolés
Il faut vendre la terre
Il faut vendre les prés
Enfants d’histoire d’amour
Enfants de la liqueur
La bruyère inconnue
Va de ce petit feu
Nous avons tant d’ennuis
Ne blamez pas le père
Voilà le temps de vivre
Par les choses éphémères
Il faut vendre la terre
Il faut vendre les prés
Du fond de mon sommeil
J’ai vu venir la flèche
Nos vaches sous la pluie
Prudemment descendaient
Ceux mis dans le pétrin
A faire ce qu’on leur dit
Les cœurs brûlants de fièvre
Misère nom de Dieu
Il faut vendre la terre
Il faut vendre les prés
Voilà monde moderne
Et son cul plein de boue
Accusant la montagne
D’être obstacle à la joie
Qui nous toise à travers
Ce devenir sombre
En tombée de la nuit
Tiens nous v’là l’ivre mort
Il faut vendre la terre
Il faut vendre les prés
Comme la lumière est grise
Nous traversons les prés
Quand réciter par cœur
Est souvenir des lieux
Reste de vie stagnant
Comme reste une eau morte
Misère nom de Dieu
Il faut vendre la terre
Il faut vendre les prés