Le Désespéré - Léon Bloy
« Il voyait le monde moderne, avec toutes ses institutions et ses idées, dans un océan de boue. C’était, à ses yeux, une Atlantide submergée dans un dépotoir. Impossible d’arriver à une autre conception. » Léon Bloy – Le Désespéré (1887)
Impossible de lire ce sacré bouquin à la légère. On en tourne les pages comme on pousse les portes grinçantes d’un manoir hanté.
L’âme furibonde de Caïn Marchenoir, le double littéraire de Léon Bloy, y est assiégée par des ombres qu’il s’évertue à combattre à coup de plume acérée : le milieu littéraire parisien, la bourgeoisie catholique enrépublicanisée, les éditorialistes salonnards… Toute la vermine d’une fin de siècle, qui se gargarise de progrès, cette bave ectoplasmique d’une société bouffie d’orgueil, crapote dans un bouillon écumant de haine.
Témoin de cette lutte, le lecteur de bonne volonté se laisse gagner par la fièvre obsidionale de l’auteur. Elle le contamine jusque dans son for intérieur où son honnêteté, qu’il croyait hors d’atteinte, se trouve piquée au vif.
Car, on ne lit pas Le Désespéré impunément. On ne badine pas avec le désespoir d’un homme de cette trempe. Sa confession est notre punition. Sa quête d’une pureté absolue est l’accusation de notre médiocrité et de notre scélératesse impénitentes.
Nous nous sentons impurs à la lecture de Bloy. Pas dignes de le lire. Nous autres, hommes de peu de foi, qui avions cru pouvoir déguster ce brûlot comme une gourmandise littéraire, un caprice élitiste, une flagornerie roborative, sommes si peu de chose face à celui qui, seul contre tous, invoque anges et démons pour régler le compte de l’humaine condition embourbée dans l’aventure moderne. Nous nous sentons comme des réformés aux pieds plats, vautrés dans une prairie qui fut le champ d’honneur des plus valeureux fantassins.
Nous lisons Le Desespéré. Léon Bloy l’a écrit.